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A Brassens
Texte de Jean-François Santini

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Pauvre bougre, pauvre cancre,
Pauvre forçat de l'encre,
Besogneux négligé par la matière grise,
Histrion pour les uns, pauvre con pour d'aucun,
Tout juste bon à griffonner trois frises
Et à prendre le tout pour des alexandrins.

Abandonné de tous et surtout d'la fortune,
Voilà-ti pas qu'le sire, ce couillon de la lune,
Par une nuit stérile du fond de son pucier
Fut tiré par les pieds sans semonce ni pitié.

Je m'appelle Brassens, humblement lui dit le,
Le spectre bonhomme grattant une guitare,
Là-haut, si tu savais, ils ne savent jouer que,
De la lyre, de la harpe et de l'orgue au mieux,
Si tu savais comme j'en ai marre.

Je m'emmerde à dix sous, à cent sous à toute heure,
Aussi pardonne-moi pour cette petite visite,
Entre confrère, tu vois, ça remonte le cœur
Et le fantôme amène cliquetant du sternum
Ecrasa une larme au creux de son orbite
Dans un soupir bêlant digne d'un harmonium
Laissant tout sidéré le poète méconnu
Et qui littéralement tombait du fond des nues.

" Mon pote, mon double, mon frère, arrête là tes vers,
Tout le monde s'en fout, ce sont tous des primaires,
Tiens prends donc ma guitare
Et chante les musettes, les poulbots, les briscards,
Les cousettes, les bougnats, les salopes, les braquemarts."

Laissant là éberlué, le rimailleur sordide,
L'ectoplasme ingambe regagna ses logis,
Illuminant le bouge d'une lueur candide
Qu'accompagnèrent bientôt des accords décatis.

Le bougre désormais brandissant la guitare
En avait fait saillir les côtes comme d'un squelette
Et en jouant avec comme de castagnettes
Au hit-parade bientôt pulvérisa les scores.

C'est Brassens,  tout là-haut qui se marrait tout bas
De la danse macabre qu'on menait ici-bas,
Ne manquant pas un soir, revenant fraternel
De venir applaudir son trouver charnel.

C'est pourquoi maintenant les soirs de général,
Quand la salle est nerveuse et le débutant pâle,
Les critiques incrédules ont l'impression d'entendre,
Derrière un accent fort, derrière un accent tendre,
Dans une ritournelle ayant un peu de sens,
Battre un petit peu du cœur de Brassens. 


Celle qui était une Mélusine,
Il se laissa prendre sans user de la force,
Par l'inspecteur André, dit le corse.

Un matin blême, on le mena,
Au pied de la triste machine,
Il pensa une dernière fois à la peau fine
D'la môme rimmel ou mascara,
On lui fit boire un p'tit coup d'fine,
Puis sa tête roula en bas,
Dans la sciure d'la guillotine.