Mauditerranée
Texte d'Antonin Cournon
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Où vas-tu, seule sur la route ?
Que fuis-tu, loin de la troupe ?
Sans bagages et sans parents,
Petite silhouette au pas lent,
Tu marches comme un somnambule
Vers le lointain qui recule.Elle a surgi un matin,
T’a jetée sur les chemins,
Elle a détruit ton pays,
Arraché de l’arbre ses fruits,
Mêlé le sang à la terre.
Maudit soit son nom : la Guerre !Dans les ruines et le désert
Tu cherches des yeux la mer,
Un seul rêve habite ton cœur :
L’Europe ! Ne plus avoir peur,
Le toit, l’abri, le refuge,
La main qui sauve du déluge.Comme Charon le vieux nocher
Embarquait les trépassés,
Les passeurs font des affaires
En transportant vers l’Enfer,
Dans des bateaux entassés
Les vivants qu’on a trompés.Sur une frêle coquille de noix,
Au milieu d’une foule sans voix,
Tu regardes glisser la rive
D’un pays à la dérive,
Où l’on trafique et commerce
De navires qui se renversent.Avec la houle tout se brouille,
La nef coule, tes yeux se mouillent.
Qui a soif boit l’eau salée,
Qui a faim sera mangé,
Par les poissons, les murènes,
Sans jamais voir l’aube sereine.Ils naviguaient pleins d’espoir.
Emportés dans la nuit noire,
Ils cherchaient paix et repos,
Les trouvèrent au fond de l’eau.
Sur la plage de sable blond,
Gît un tout petit garçon.Sur l’onde où flottent les débris,
On recueille ton corps en vie,
On te mène au prochain port,
Pour réclamer ton passeport.
Ici s’arrête le mirage,
Et là se dresse le grillage.On te procure des papiers
Pour continuer à errer.
C’est le passeport pour nulle part,
Arrivée veut dire départ,
Interminable est l’attente
Dans l’Europe indifférente.L’horizon s’éloigne encore,
Quand la mer charrie ses morts,
Dans la langue de l’étranger,
Tu voudrais pouvoir crier :
« Ô belle Mauditerranée !
Tu n’en as donc pas assez ? »